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Musiques actuelles : la coopérative Grand Bonheur veut revaloriser les métiers de la filière

Par Thomas Corlin | Le | Diffusion, booking

Constellation réunissant plusieurs métiers de la filière, du booking au management, Grand Bonheur (Marseille, Bouches-du-Rhône) alerte sur le dépérissement de l'émergence en sortie de crise, et une dévalorisation plus globale des métiers du secteur. Son directeur Olivier Jacquet imagine une éditorialisation nouvelle des événements, tournée vers les enjeux de la responsabilité sociale des organisations (RSO).

Since Charles, artiste en développement chez Grand Bonheur. - © Flora Marcia
Since Charles, artiste en développement chez Grand Bonheur. - © Flora Marcia

Votre coopérative accusait fin 2020 une baisse de chiffre d’affaires de 70 %. Comment sort-elle de cette crise ? 

Nous n’avons pas eu à entamer notre trésorerie, à savoir cette épargne commune à toutes les structures réunies dans Grand Bonheur. Nous avons consacré énormément de temps à recueillir les aides du Centre National de la Musique, dont les équipes se sont démenées pour nous venir en aide à hauteur des dégâts subis. 

Bien sûr, les prévisions sur les 12 mois à venir sont à perte, mais nous discutons avec le CNM pour ajuster le plan de relance sur nos besoins, et faisons évoluer notre modèle économique. Il ne s’agit pas de financiariser nos activités, mais de les joindre à des investisseurs en économie sociale et solidaire, avec un cahier des charges à respecter. 

Qu’en est-il de vos équipes ? 

Nous comptions 16 salariés permanents pendant la crise, nous en comptons désormais 18. Nous avons pérennisé l’emploi de deux personnes qui travaillaient pour nous en freelance, et embauché deux bookeurs en remplacement de deux départs provoqués par la crise. En effet, ces postes ont été abandonnés pendant la crise, à force de périodes d’empêchement professionnel décourageantes. La crise n'était pas le moment propice pour se lancer dans une telle carrière, et nous comprenons ces choix.

Ces défections interrogent nos métiers, dont les maigres conditions salariales et avantages sociaux peinent depuis longtemps à attirer les jeunes. La crise, qui a pointé du doigt la raison d'être du secteur, n’a fait qu’aggraver cette situation. Il est urgent de revaloriser socialement notre filière.

Comment vos activités repartent-elles et comment le public y répond-il, à l'échelle des artistes que vous faites tourner et des événements que vous montez ? 

Dans l’ensemble, tous les projets ont été relancés, plus quelques-uns qui ont été pensés pendant la pandémie. Programmer des artistes n’est pas un problème, nous l’avons constaté en montant le festival Avec Le Temps : tellement de projets sont restés dans les cartons pendant deux ans, que ce n’est pas le choix qui manque désormais. L’un de nos artistes phares, French 79, attire aussi des propositions de dates intéressantes. 

Il est urgent de revaloriser socialement notre filiale.

C’est plutôt du côté du public que la dynamique ne repart que partiellement. Un manque s’est créé autour des têtes d’affiche, dont plusieurs tournées ont été annulées, et celles-ci remplissent donc très facilement, parfois même plus vite qu’avant. C’est la découverte qui souffre, plus que jamais. L’expérience concert a été cruellement mise en cause pendant la crise : son rôle de patrimoine culturel vivant a été nié et la pratique sociale elle-même, toujours à entretenir en temps normal, en ressort dégradée. 

Ce sont donc les « mid-liners » et les artistes émergents qui trinquent en sortie de crise. Ce sont déjà des champs très fragiles, où le public n’est pas évident à mobiliser, mais nous notons une baisse de 50 % de fréquentation de ce côté-là. 

Comment ré-insuffler alors une dynamique ? 

Tout d’abord, nous tâchons de conserver tant que possible le même volume de signatures entrantes, dans une logique certes plus volontariste qu'économiquement réaliste. C’est vital pour réinventer un canal entre artistes, producteurs et public. Ensuite, nous sommes obligés de repenser ce que nous proposons, pour le situer autrement dans le folklore contemporain. 

Cela passera nécessairement par de l'éditorialisation et de nouveaux concepts de soirées défricheuses. Nous imaginons actuellement, avec des lieux partenaires de la région, une labellisation autour d’impératifs RSO (Responsabilité Sociale des Organisations) et éco-responsables, à l'échelle de la filière si possible. La solution serait selon nous à trouver du côté des convergences avec des engagements sociaux, qui resituerait la musique et la culture dans une autre histoire aux yeux du public - ce qui a déjà eu lieu dans la mode et l’alimentation sur ces dernières années. La filière y trouverait aussi d’autres partenaires et d’autres modèles économiques.