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Scène nationale : à Sète, le singulier modèle économique du Théâtre Molière mis à l'épreuve

Par Thomas Corlin | Le | Diffusion, booking

Plus dépendant de la billetterie et du mécénat que d’autres équipements publics, le Théâtre Molière à Sète (Hérault) a perdu de sa stabilité financière depuis la reprise. Rien là qui ne mette en péril l'établissement, d’après son secrétaire général Christophe Chanut, qui questionne néanmoins son modèle économique.

Le théâtre Molière dispose d’une salle de 800 places.  - © Florent Joliot
Le théâtre Molière dispose d’une salle de 800 places. - © Florent Joliot

Comment le modèle économique de votre établissement est-il déséquilibré par la baisse du public en salle ? 

Les recettes de billetterie pèsent plus dans notre budget que pour d’autres théâtres publics. Sur 3,5 M€ par an, nous comptons sur 500 000 € de tickets vendus, ce qui n’est pas le modèle dominant dans le secteur. Nous fonctionnons également avec un club de mécènes bien structuré, constitué d’environ 70 entreprises locales et quelques entreprises nationales, généralement de taille petite ou moyenne, qui participent toutes à hauteur de 5 à 10 000 €.

Ce modèle hybride a fait de nous de bons élèves auprès des tutelles.

Or, parmi ces entreprises, certaines sont en difficultés depuis la crise. Nous en avons perdu quelques-unes, gagné de nouvelles, mais tout ceci ne nous donne pas de perspective stable - nous attendons encore des confirmations de ce côté-là. Pendant ce temps, les pertes de billetterie font mal, et aggravent cette précarité. 

Ce modèle, qui nous fait dépendre davantage du remplissage de salle et de la santé de nos mécènes (qui deviennent en partie nos subventionneurs), a été encouragé par le Ministère de la Culture pendant un temps, et a fait de nous de « bons élèves » auprès des tutelles. Hélas, c’est aussi une dépendance qui nous fragilise depuis la crise, en comparaison avec d’autres équipement au financement plus fixe. 

Vous aviez renouvelé vos formules de réservation avant la crise. Comment ont-elles pris place ? 

La direction du lieu a changé en 2018, et, avec elle, plusieurs axes dans nos manières de travailler au théâtre : identité graphique, communication, programmation et billetterie. Le Molière est un théâtre à l’italienne qui souffrait d’un certain embourgeoisement : en juin, les abonnements se vendaient en trois semaines auprès d’un public d’habitués, il ne restait au reste des spectateurs que quelques miettes. Auprès du public non abonné, le lieu avait la mauvaise réputation d'être constamment plein. 

Nous avons mis en place un modèle plus souple et avantageux, garantissant un volume raisonnable de places tout au long de l’année. Il s’agit d’une carte offrant des réductions de 30 à 40 % sur l’ensemble des places. Le public a d’abord été un peu perdu, ce à quoi nous nous attendions, mais nous avons maintenu un flux de billetterie constant, et pas seulement sur la période de juin-juillet.

Ce système est désormais entré dans les habitudes, et nous a probablement aidé pendant la reprise. Le public ne se serait jamais engagé sur quatre à huit spectacles par an, selon le système précédent, alors que nous avons enchaîné annulations, reports et remboursements pendant deux ans. En l’occurrence, le volume de cartes vendues a été le même en 2021 qu’en 2019. 

Comment s’observe la baisse de fréquentation ?

La situation implique des frais et des efforts supplémentaires, notamment en communication

Par exemple, un spectacle de danse par une troupe brésilienne vendait environ 700 places pour une jauge de 800 avant la crise, désormais ce chiffre s’est réduit de moitié. L’achat sur les dernières semaines est également devenu la règle : la billetterie se retrouve parfois saturée de demandes sur les deux dernières semaines avant les représentations d’un spectacle. 

La situation implique des frais et des efforts supplémentaires, notamment en communication. Nous surenchérissons sur les réseaux sociaux, achetons davantage d’encarts de publicité, sollicitons la presse pour atteindre le public. 

C’est aussi une saison particulièrement dense en raison des reports : elle rassemble 80 propositions, contre 50 normalement. Nous retrouverons notre volume habituel sur la saison prochaine. 

Quelles sont les conséquences de cette instabilité nouvelle pour le lieu ? 

Aucun danger concret n’est à craindre pour l’heure, mais ces mauvais chiffres pèsent sur notre équipe. Nous espérons un rééquilibrage l’an prochain. La ligne de programmation ne change pas, et nous n’envisageons pas non plus de proposer des dates plus tard sur la saison, comme cela fut le cas l’an dernier, où les reports se sont étalés jusqu’en juillet. Cette année, nous avons accès au Théâtre de la Mer, en plein air, où nous programmons un spectacle de fandango fin juin, mais nous ne prolongeons pas sur l'été, dominé par des festivals locaux.