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Clubs : à Lyon, le Sucre se réinvente en « salle de concert de nuit »

Par Thomas Corlin | Le | Lieux, résidences, locaux de répétition

Action culturelle, méthodes éco-vertueuses, rôle social de la culture club : Le Sucre, célèbre club lyonnais (Rhône), aborde la relance avec des missions plus proches d’une « salle de concert de nuit » que d’un club, d’après Pierre Zeimet et Baptiste Pinsard, programmateurs du lieu et du festival les Nuits Sonores au sein d'Arty Farty.

Le Sucre programme également en première partie de soirée. - © Gaetan Clement
Le Sucre programme également en première partie de soirée. - © Gaetan Clement

Quelle réflexion avez-vous eu le temps d’avoir pendant la pandémie ? 

Les temps de fermeture ont eu l’avantage de nous laisser du temps pour travailler hors des deadlines habituelles et d’imaginer comment repositionner notre lieu. Nous avons enfin pu prendre du recul pour intégrer les enjeux sociétaux (mixité, parité) et écologiques à nos façons de travailler. Les publics ont changé, et nous devons aussi changer notre façon de penser nos événements.

Cette évolution vise à affirmer le Sucre, club déjà très installé, comme une « salle de concert de nuit » davantage que comme un « club ». Le réseau des clubs a été le premier affecté par la pandémie, avec de très longues périodes de fermeture. Cela a aussi révélé que les autorités méconnaissent la réalité de nos métiers et la fonction de notre action, ce que nous souhaiterions corriger. Par exemple, le travail de défrichage artistique que mène un lieu comme le Sucre profite par la suite au réseau des Smac et des musiques actuelles plus globalement, et cela doit être reconnu.  

Le défrichage artistique des clubs profite aux SMAC.

La crise a instauré la nécessité d’une prise de conscience autour des clubs, cela a été entendu jusqu’au Ministère de la Culture. Une quarantaine de clubs, dont le nôtre, ont rejoint le mouvement Cultures-Clubs et ainsi engagé une discussion avec le MC dans l’idée de la création d’une charte à terme, et d’un mode d’évaluation légitime de cette charte. 

Les ambitions du Sucre rejoignent notamment les nouvelles grilles du Centre National de la Musique. L’idée n’étant pas de renoncer à notre modèle privé et non subventionné pour devenir une structure publique, mais d’être soutenus sur certaines actions que nous nous apprêtons à mener. 

Quelles sont ces missions que vous intégrez à votre fonctionnement ?

Elles se situent d’abord au niveau de la programmation. Déjà, en tant que trentenaires blancs, il était temps de travailler nos programmations avec plus de diversité en tête, sans non plus nous substituer aux porte-paroles des communautés que nous accueillons. Ainsi, nous nous allions à des collectifs qui les représentent et les connaissent mieux que nous pour créer ensemble des moments de programmation, qu’ils éditorialisent à leur façon. Il s’agit d’élargir l’éventail des cultures et des milieux sociaux présents au Sucre. 

À ce titre également, nous souhaitons renforcer nos concerts en soirée. C’est un format qui positionne le lieu différemment, offre des possibilités de programmation différentes et peut inclure le public de moins de 18 ans. La formule est aussi intéressante en ce qu’elle nous permet d’écraser les charges du personnel en ouvrant deux fois sur une seule soirée. 

Ensuite, l’engagement écologique doit prendre forme dans notre quotidien. Le Sucre pratique déjà le 100 % végétarien dans son offre fooding, mais nous devons aller plus loin dans la réduction de notre empreinte carbone. Cela passe principalement par les déplacements des artistes internationaux qui sont vitaux à notre programmation.

Nous ne pratiquons plus « l’exclusivité régionale » sur un artiste.

Ainsi, nous ne pratiquons plus « l’exclusivité régionale » et incitons les artistes à faire plusieurs dates sur notre territoire et leurs bookeurs à travailler dans ce sens. Par ailleurs, au lieu d’inviter un artiste important trois fois dans l’année, nous voulons optimiser sa présence tant que possible, en proposant de jouer sous plusieurs formats, éventuellement avec un autre artiste de son choix, de tenir une masterclass, etc. Les transports moins polluants sont aussi plus coûteux, Londres-Lyon est, par exemple, trois fois plus cher en train qu’en avion - un soutien public serait nécessaire de ce côté-là aussi. 

Enfin, un volet formation et atelier sera proposé à des collectifs en besoin de professionnalisation. Techniciens, administrateurs comptables, chargés de production liés à la musique et à ses événements, pourront venir se former chez nous pour mener à bien leurs projets. C’est aussi à ce titre que nous pourrions solliciter un soutien du CNM. 

L’entrée du Sucre. - © Gaetan Clement
L’entrée du Sucre. - © Gaetan Clement

Comment votre équipe est-elle sortie de cette crise et quel retour du public avez-vous connu en 2021 ? 

L’équipe de Culture Next, la structure gérant le Sucre, n’a connu aucun licenciement grâce à l’accompagnement de l’État - et elle travaille tant que possible avec des CDI pour lutter contre la précarité du monde de la nuit. Nous ne sommes pas encore fixés sur les « aides exemplaires » annoncées par le gouvernement en compensation au dernier épisode de fermeture, mais nous avons eu des échos positifs de la part d’autres lieux. 

Le Sucre a rouvert le jour où cela a été permis, et ses soirées ont été complètes jusqu’à sa re-fermeture en décembre, sur des jauges à 75 % au début et à 100 % les dernières semaines. La programmation a été 100 % locale pendant tout l’été, ce qui fut une expérience positive pour le lieu.