Culture et ESS : à Rezé, le tiers lieu Transfert cède sa place à une ZAC, et ouvre un nouvel espace
Par Thomas Corlin | Le | Lieux, résidences, locaux de répétition
À Rezé (Loire-Atlantique), l’expérience éphémère Transfert, tiers lieu avant l’heure, touche à sa fin, après cinq ans d’activité. Directeur de Pick Up Production, l’association à l’origine du projet, Nicolas Reverdito dresse le bilan de ce chantier d’urbanisme transitoire, avant d’en initier un autre, au cœur de Nantes.
Transfert a un cheminement atypique. Comment une association dédiée à la culture hip hop se retrouve à la tête d’un projet d’urbanisme transitoire ?
En 1999, Pick Up est une association qui œuvre à la structuration du milieu hip hop, entre autres en accompagnant des artistes émergents. Progressivement, nous nous sommes intéressés aux projets d’espace public, nous cherchions des bâtiments pour les investir. Le terrain des anciens abattoirs de Rezé était connu localement pour ses fêtes sauvages. Une fois programmée la démolition des bâtiments, Pick-Up, les artistes et les habitants s’interrogeaient sur le projet qui viendrait derrière - les « non-sachants » pourraient-ils s’y investir ? C’était une zone clef, proche de certains équipements de la ville de Nantes, comme Stéréolux, et située au cœur de la métropole.
Il s’agissait de créer une base de vie réunissant les conditions d’une vraie mixité sociale, tout en racontant l’histoire de la Loire.
Nous nous sommes manifestés auprès de la maire de Nantes Johanna Rolland, qui nous a demandé de lui proposer un projet transitoire sur cinq ans et c’est ainsi que nous sommes passés d’une activité strictement hip hop à une démarche plus politique autour de la fabrique de la ville. Conçu entre 2016 et 2017, le projet a été validé en 2018.
Quels en étaient les axes ?
L’accueil du public et l’inclusion ont été les priorités du projet et le cadre de notre programmation artistique. Je me retrouve dans les propos de l’architecte-urbaniste Ariella Masboungi selon lesquels « l’urbanisme culturel » n’existe pas puisque la culture, au sens large du terme, est nécessairement au cœur de l’organisation d’une ville. Il s’agissait donc de créer une base de vie réunissant les conditions d’une vraie mixité sociale, tout en racontant l’histoire de la Loire. Lorsque nous récupérons le lieu, les bâtiments viennent d’être rasés, il s’agit de 15 hectares de béton concassé. Nous l’investissons alors avec des containers de bateaux et des chapiteaux pour y loger une dizaine de structures, principalement culturelles : musique, scénographie, mais aussi un forgeron, un garage à vélos et bien sûr, notre propre association.
Le lieu connait trois rythmes : en hiver, seules les structures occupantes y travaillaient ; de mai à octobre, il accueillait des compagnies en résidence, des centres sociaux ou des écoles ; enfin, l’ouverture au public se faisait de juin à septembre. Transfert pouvait accueillir jusqu’à 2 ou 3 000 personnes selon les occasions, et nous aurions pu aller au-delà de cette jauge, mais ce n’était pas notre souhait.
En interne, une sociologue et un géographe ont mené une recherche pour mettre en perspective l’expérimentation en cours, marquée par un cycle de rencontres où se sont succédé urbanistes, chercheurs, artistes et politiques autour de la question « comment faire avec ce qui est déjà là ? ».
Sur quelle économie tourne Transfert ?
L’expérience de Transfert doit profiter à la ZAC à venir.
Une moitié des financements vient de fonds publics : à 70 % la métropole, et le reste provient de la DRAC et de la ville de Rezé. L’autre moitié repose sur les recettes de bar, le mécénat et les privatisations. Les collaborations avec le monde de l’entreprise nous ont permis en premier lieu de consolider notre modèle économique, mais c’est aussi une façon de toucher un public qui ne viendrait pas forcément vers nous et de l’exposer à la culture hip hop. Cet équilibre 50/50 entre public et privé est précieux pour un lieu comme Transfert.
Quel projet succèdera à Transfert et quel est le prochain espace que vous investirez ?
Il est important que Transfert laisse une trace sur ce territoire, et nous avons proposé de nous investir dans la ZAC Primil-les Isles sous la forme d’un « legs moral », notamment en accompagnant sa phase chantier, et en suggérant des façons d’intégrer la culture sur cette zone. 10 000 habitants sont attendus sur cette zone encore non bâtie, un tram va la relier à Nantes, c’est un gros enjeu. Nous avons également également proposé un leg physique, sous la forme de matériaux utilisés pour monter Transfert.
Pick Up investira bientôt un ancien institut médico-éducatif en plein centre de Nantes, pour une courte durée - neuf mois. L’architecte qui travaille à sa reconduction réfléchit à une façon de conserver une marque de notre passage. L’espace disposera d’un lieu de convivialité, mais sa visée n’est pas le rayonnement sur le long terme. Il sera autofinancé par les loyers et les activités du projet.