Production

« Il fallait montrer l’exemple pour les festivals à venir » (N. Cuer, Positiv Festival)

Par Thomas Corlin | Le | Plein air

Le weekend des 4 et 5 septembre s’est tenu, dans le Théâtre Antique d’Orange, le Positiv Festival, seul festival électro français à s'être maintenu dans le contexte actuel. Son directeur artistique Nicolas Cuer revient sur cette opération acrobatique qui s’est soldée par un triomphe très remarqué.

Le Positiv Festival s’est tenu devant une jauge de 3 500 personnes - © Worakls PatAndPatate
Le Positiv Festival s’est tenu devant une jauge de 3 500 personnes - © Worakls PatAndPatate

La musique électronique repose en grande partie sur des événements festifs, qui ont été annulés par la crise sanitaire. Comment vous êtes-vous résolu à ne pas annuler le vôtre ?

Dès mars, notre programmation était déjà bouclée, comme c’est parfois le cas de certains festivals qui peuvent travailler en avance. Le Positiv Festival a déjà connu deux annulations pour raisons sécuritaires pendant la vague de terrorisme de ces dernières années, notamment une à Nice. Nous avions donc déjà fait l’expérience de ce type de situation. 

Le Théâtre Antique d’Orange était déjà loué auprès de la mairie, nos accords signés avec eux. Nous avons donc continué à travailler normalement, en laissant passer la première vague d’annulations. Lorsque celle de septembre est venue, nous avons trouvé toutes les solutions pour nous maintenir, et décidé d’organiser l'événement coûte que coûte.

La disposition en rangées verticales du Théâtre Antique permettait de mettre en place la distanciation nécessaire.

Surmonter les contraintes sanitaires pour que l'événement ait lieu est devenu un défi, pour montrer l’exemple et peut-être ouvrir la voie à d’autres événements. Il était clair que financièrement, nous l’organiserions à perte, mais s’il n’avait pas lieu, les pertes auraient été pires.

Notre jauge escomptée initialement était à 8 500. Puis la limite de la jauge à 5 000 personnes a beaucoup varié pendant l'été, pour être finalement maintenue dans les zones rouges. Orange, dans le Vaucluse, est en zone rouge, et la jauge est alors tombée à 3 500 spectateurs, notre billetterie avait donc été plafonnée en conséquence. La disposition en rangées verticales du Théâtre Antique permettait de mettre en place la distanciation nécessaire, c’est surtout cela qui nous a convaincu de maintenir le festival. 

Nous avons été contraints de remplacer deux artistes, dont les allemands Meute qui ont dû annuler leurs dates françaises du fait des nouvelles restrictions dans leur pays. Une semaine avant l'événement, tout était prêt, jusqu'à la liste des invités et la présence de la Croix Rouge. 

Quelles mesures sanitaires avaient été spécifiquement imposées pour l'événement ?

En plus de tout le dispositif désormais rituel du gel, de la distanciation et de la régulation des flux (qui furent tous régulièrement rappelés au micro pendant les deux soirées), il nous a été demandé de prendre la température de toutes les personnes dans le public. Nous avons donc fait à appel à un fabricant de caméras thermiques qui permettait de prendre la température par groupes de 100 spectateurs. 

Lorsque certains étaient signalés comme ayant une température excessive, on la leur reprenait individuellement sur le front en vérification. Si cela se confirmait, on ne pouvait leur accorder l’entrée. Il a donc fallu établir un protocole de remboursement ou de report du billet sur l’année prochaine. Le contrôle se tenait dans l’entrée avant l’accès à la billetterie. 

Bien sûr, la fosse a été condamnée pour éviter un attroupement sur le dancefloor. J’ai donc demandé à un artiste visuel d’occuper l’espace avec une fresque conçue en direct, s’inspirant de la statue de l’Empereur Auguste, en rappel de celle qui trône dans le Théâtre. 

Stephan Bodzin au Positiv Festival - © Positiv Festival
Stephan Bodzin au Positiv Festival - © Positiv Festival

Quelques jours avant l'événement, vous avez reçu une demande de report de la Préfecture. Comment la situation s’est-elle dénouée ?

Une rencontre a été immédiatement organisée avec le sous-préfet et le commandant de police, ainsi que d’autres représentants des collectivités locales. Ils ont demandé de nouvelles mesures, la veille de la première soirée du festival. 

La première étant l’interdiction d’avoir une buvette ou toute forme de restauration, toujours pour éviter les attroupements. En plus de remettre en cause nos partenariats avec des marques de boisson, il a fallu trouver une alternative. Nos prestataires ont donc eu recours à des « désoiffeurs », ces vendeurs ambulants qui transportent des sacs de 20 à 30 kilos. Ainsi, les spectateurs n’avaient plus à se déplacer que pour aller aux toilettes. 

Notre « zone pro » a également été réduite de moitié, à 150 personnes, afin de respecter un espace de 2 m² par personne. Un click était posé à l’entrée pour comptabiliser les allers et venues, et la sécurité rappelait aux invités de ne pas naviguer. Enfin, les effectifs de sécurité sont passés de 30 à 130, avec des frais supplémentaires, forcément. 

L’administration de la mairie et de la préfecture a du remonter jusqu’au ministère de la Culture pour que la situation se débloque, et que l’on dispose du minimum de temps pour appliquer les nouvelles mesures. Notre événement ne dispose d’aucune subvention, mais la Mairie a été très coopérante et nous a apporté un soutien logistique et matériel.

Le Positiv Festival au Théâtre Antique d’Orange - © worakls / patandpatate
Le Positiv Festival au Théâtre Antique d’Orange - © worakls / patandpatate

En fin de compte, comment s’est déroulé l'événement ?

Très bien, heureusement. Le public a joué le jeu. On peut dire que les consignes ont été respectées à 95 %, et les pouvoirs locaux en ont témoigné. Les rappels au micro ont très bien fonctionné, les gens étaient conscients que tout pouvait être interrompu sur le champ en cas de non-respect des mesures. Les retours sont subjuguants, autant de la part du public sur les réseaux sociaux, que du côté des pouvoirs locaux. Nous avons été félicités par tout le monde, du commandant de police jusqu’au service culture de la mairie de Montpellier. 

Rien n’a été fait au rabais, la programmation était au niveau de ce que l’on avait prévu. Il n’avait jamais été question d’augmenter ou de baisser le prix des tickets, et je n’avais pas fait d'économie en remplaçant les artistes annulés par d’autres au profil moindre. Les artistes étaient bien sûr ravis de jouer dans ce cadre, le public très content d’y avoir participé, et tout le monde était conscient des enjeux et des efforts monumentaux que tout ceci avait nécessité. 

Nous avons montré qu’il était possible qu’un événement électronique ait lieu dans le respect des consignes sanitaires.

Il s’agissait de donner l’exemple. Toute la sphère électronique nous regardait, puisque notre événement est probablement l’un des seuls de ce type à s'être maintenu dans le monde. Les pertes financières sont colossales, mais en termes d'événementiel et de retombées sur la communication, c’est très satisfaisant - c’est notre récompense. Nous avons montré qu’il était possible qu’un événement électronique ait lieu dans le respect des consignes sanitaires - du moins sur un format de 18h à 1h30. 

Du point de vue professionnel aussi, l’expérience a été profitable. Devant le plébiscite du public et les réactions des artistes, nous recevons déjà des propositions d’agents pour organiser l'événement de l’année prochaine, ce qui nous met dans une position intéressante pour faire notre programmation à l’avenir.