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Médiation : en Suisse, un chatbot « émotionnel » pour visiter une collection inaccessible au public

Par Thomas Corlin | Le | Médiation

La structure de médiation La Lucarne et la développeuse Artybot ont conçu un « chatbot culturel » pour faire visiter virtuellement le Fonds cantonal d’art contemporain, collection suisse normalement réservée aux professionnels. L’outil en ligne attire ses visiteurs par le ludisme et l'émotion, d’après Anne-Sophie Marchal de la Lucarne.

Le chatbot propose pour l’instant une trentaine d'œuvres.  - © D.R.
Le chatbot propose pour l’instant une trentaine d'œuvres. - © D.R.

Comment est née cette collaboration avec le FCAC ? 

Le FCAC est une collection d’art contemporain auquel le public n’a pas accès. Les musées y empruntent des œuvres pour leurs expositions et l'établissement organise ponctuellement les siennes lors d'événements particuliers comme des foires ou autres. Il se situe à Genève, mais n’est pas ouvert aux visiteurs. Leur collection est cependant consultable en ligne, certaines pièces étant contextualisées. Le plus souvent, elles figurent simplement sans information ni orientation sur leur site, par ordre alphabétique, sur le modèle des fiches dans un catalogue.

Grâce au mécénat de la Société Générale, le Fonds a été doté de 20 000 francs suisses pour s'équiper d’un outil de médiation à l’adresse du public. Cette bourse, récurrente, est destinée à trouver des modes de diffusion pour cette collection normalement cachée au public. Un appel à projet dans le domaine de la médiation culturelle digitale a été lancé, auquel nous avons répondu avec la collaboration d’Artybot, qui nous a permis de développer la partie technique. L’objet était donc cette fois-ci de concevoir un outil pour donner virtuellement accès à cette collection. L’aspect ludique, l’humour et l’orientation « émotionnelle » de notre proposition ont déterminé le choix du FCAC.

Comment fonctionne votre chatbot et de quoi l’avez-vous alimenté ? 

Il s’agit d’un chatbot culturel. Nous insistons sur l’aspect culturel car il n’a rien d’un outil permettant un accès rapide à des informations pratiques, avec un avatar ou autre, comme cela se trouve souvent sur des sites de lieux d’art. Celui-ci est un outil de médiation à part entière, basé sur la pratique du micro-learning. Il apparait dans un coin du site, un pop-up proposant au visiteur un « shoot émotionnel ». 

Le chatbot n’est qu’une porte d’entrée, il instruit à juste dose, sans faire de pavé. 

Nous avons travaillé autour d’une gamme d’humeurs (« massacrante », « bestiale », « vagabonde », etc.), partant du principe que l’art contemporain fait réagir. Nous avons ensuite exploré la collection, qui réunit des milliers de pièces, pour en sélectionner une soixantaine, que nous avons classées par émotions. 

Comme dans une médiation sur site, il s’agit d’attirer le visiteur par des prétextes ludiques. Ici c’est donc l'émotion. Le chatbot propose un « shoot émotionnel » au visiteur du site, lui demande de choisir une humeur, et le redirige vers trois œuvres. Toujours sur un ton ludique, des informations lui sont proposées pour contextualiser le travail, la démarche de l’artiste, ou faire d’autres connexions, y compris à travers des éléments insolites.

Nous avons veillé à une diversité dans les artistes et les supports proposés : des noms récents ou plus anciens, artistes vivants ou non, médiums divers allant de l’installation à la vidéo en passant par la sculpture et la peinture, etc. 

Comment ce chatbot a été produit ? 

Tout s’est fait en plein confinement, en distanciel, à partir de mai. Nous n’avons rencontré physiquement ni notre collaboratrice Artybot ni l'équipe du FCAC. Les allers-retours sur le travail ont notamment concerné le choix des pièces et des émotions. Les membres du FCAC nous ont parfois orienté vers des œuvres sur lesquelles ils avaient déjà travaillé et ont suggéré des émotions auxquelles nous n’avions pas pensé. 

À l’origine, ils avaient souhaité un chatbot plus abondant en informations, mais nous leur avons expliqué ce qui faisait l’attrait de ce type de support : sa brièveté. L’idée du micro-learning, c’est bien de ne pas saturer en information le visiteur, qui peut de son côté prolonger ses recherches. Le chatbot n’est qu’une porte d’entrée, il instruit à juste dose, sans faire de pavé. 

Quel est l’avenir de cet outil ? 

Nous allons l’alimenter avec une nouvelle série d'œuvres. Sur les 60 sélectionnées, nous n’en présentons qu’une trentaine pour l’instant, nous révèlerons donc l’autre moitié. Aucun objectif quantitatif n’a été clairement défini, nous verrons comment réagit le public à ce nouvel outil. Un planning de communication a été établi, nous récolterons les données plus tard, et imaginerons donc son développement futur une fois que nous connaîtrons la fréquentation et le type d’usage qui en aura été fait.