« Veiller à éviter l’isolement social en cette période » (L. Santarelli, Centre Médical de la Bourse)
Par Thomas Corlin | Le | Rh, formation, intermittence
Hygiène de vie, isolement, suivi : psychologue du travail au Centre Médical de la Bourse (Paris 9e), Laetitia Santarelli décrit l’impact de la crise sur ses patients issus du secteur culturel et partage quelques conseils préventifs.
Depuis le début de la crise, quels motifs de détresse rencontrez-vous dans vos consultations avec les professionnels du secteur culturel ?
Nous enregistrons une explosion des consultations, et d’autant plus depuis le second confinement. Une cellule psychosociale dédiée au Covid avait été mise en place au CMB dès mars. Nous discutons présentement des modalités pour la remettre en place, et plus globalement pour adapter notre réactivité à la situation.
L’insécurité professionnelle est aujourd’hui exacerbée, et avec elle d’autres souffrances, comme la peur ou la colère de devoir renoncer à un métier qui a demandé de nombreux sacrifices.
Naturellement, les motifs que je peux partager sont des cas extrêmes, des appels de détresse que nous recevons dans le cadre de nos consultations - tous les professionnels de la culture ne vivent pas la crise dans les mêmes conditions. Les maux dont souffrent les personnes qui viennent nous consulter ont principalement pour cause l’insécurité professionnelle, qui existait déjà dans de fortes proportions du fait de la précarité à laquelle ce secteur est plus exposé que d’autres.
Elle est aujourd’hui forcément exacerbée, et avec elle d’autres souffrances, comme la peur ou la colère de devoir renoncer à un métier souvent décroché au prix de nombreux sacrifices. Dans certains cas, cela a des conséquences dépassant le cadre professionnel, comme une solitude grandissante, des troubles anxieux, un stress aigu, des crises de panique, voire des violences conjugales, des troubles de la personnalité, des addictions…
Il est à noter que nous n’établissons pas de diagnostic clinique, donc ne prescrivons pas de thérapie. Nous ne travaillons que la prévention. Nous ne donnons que trois rendez-vous maximum.
Quelles singularités présentent les métiers de la culture en termes de santé mentale ?
Du côté des permanents, nous rencontrons généralement des problèmes communs à d’autres secteurs : difficultés relationnelles, managériales, surinvestissement dans le travail, dépassements d’horaires. Chez eux, mais aussi chez les intermittents, il existe une ambivalence souvent problématique entre vie professionnelle et personnelle, bien plus forte que dans d’autres domaines. Beaucoup ne savent pas où placer la limite, ce qui peut entrainer de nombreux déséquilibres.
La frontière entre vie privée et proffesionnelle est poreuse dans le secteur.
Chez les intermittents en particulier, c’est plus difficile à cerner. Tout d’abord, si l’environnement d’une entreprise en particulier leur déplaît, ils peuvent éventuellement en changer, du moins en temps normal. Néanmoins, nous enregistrons des détresses propres au statut : bien sûr, la peur ne pas réunir suffisamment d’heures pour le conserver, la précarité, mais souvent celle-ci est mieux assumée parce que choisie. Pour les techniciens comme les artistes par exemple, la pratique du direct peut aussi générer bien des angoisses, voire des phobies. Ensuite, ce sont d’éventuelles désillusions autour d’un métier parfois idéalisé : l’épuisement de la vie de tournée, la hiérarchie du milieu, etc.
Nous recensons aussi, comme ailleurs, des discriminations sexuelles, ainsi que le sentiment d’avoir sacrifié beaucoup de sa vie personnelle pour un métier qui ne donne accès qu’à peu de reconnaissance et de satisfaction.
Quelles mesures préventives peuvent être préconisées dans la situation actuelle ?
J’évite de jouer la carte de la psychologie positive à tout va, en déclarant par exemple que tout va redémarrer bientôt. Certaines techniques peuvent être très bénéfiques pour certains, comme la méditation en pleine conscience, mais pas pour des états dépressifs, qui sont très nombreux actuellement.
Ne pas hésiter à s’adresser à d’autres personnes dans la même situation, et identifier les contraintes et les ressources.
Néanmoins, des méthodes simples peuvent être appliquées : respecter une bonne hygiène de vie, des heures de sommeil suffisantes, veiller à garder un rythme de vie équilibré, et surtout à ne pas être isolé socialement. Ne pas hésiter à s’adresser à d’autres personnes dans la même situation, et identifier les contraintes et les ressources.
Il faut essayer de ne pas généraliser une situation négative, tous les cas sont particuliers. Certains peuvent aussi remettre en cause leur investissement dans le métier, le temps de vie qu’ils y consacrent. Enfin, pour les intermittents, cela peut être s’interroger si le problème vient du statut ou du métier lui-même.