Avignon : l’Entrepôt, un théâtre du Off né d’un projet socio-culturel
Par Thomas Corlin | Le | Lieux, résidences, locaux de répétition
À quelques pas de la gare d’Avignon, derrière les remparts, se trouve l’Entrepôt, lieu tenu par la compagnie Mises En Scène. Pensé il y a près de quarante ans comme un espace de pratiques amateurs en lien avec son territoire, le théâtre n’a pas vu sa fréquentation atteinte par la pandémie, et se tient à l’écart de la cohue du Off, d’après Antoine Raud, secrétaire général de la compagnie, et Michèle Addala, fondatrice et directrice artistique.
L’Entrepôt n’était pas destiné à devenir un lieu en dur. Quelle est sa trajectoire ?
Michèle Addala : En 1982, je sortais d’une formation classique de théâtre, je débarquais dans un quartier populaire de la ville et j’ai créé, en 1985, une association centrée sur des pratiques amateurs encadrées par des professionnels, et des projets de création partagée. Les gamins du coin voulaient voir ailleurs et j’ai monté des partenariats européens sur cette base, en travaillant avec la Maison pour Tous du quartier. En 1995 s’est montée la compagnie, alors que j’en étais encore la seule artiste professionnelle - une chanteuse m’a alors rejointe.
À cette époque, alors que notre démarche était encore cantonnée aux politiques culturelles de la ville, nous vendions déjà des spectacles, avant même d’être reconnus par la DRAC. Nous réinvestissions l’argent que nous percevions dans nos tournées. C’est là qu’un de nos spectacles, une adaptation de La Misère du Monde de Pierre Bourdieu, a rencontré un certain succès. Pierre Bourdieu nous en a prêté les droits un moment, même s’il n’a finalement pas vu le spectacle, que nous avons joué jusqu’au Maroc.
Autour de cette époque, la Compagnie Mises en Scène tourne partout, nous organisons un festival dans le Théâtre des Halles à Avignon, les Périphériques, pensées comme des rencontres européennes de théâtre. Un lieu nous est alors prêté, aux Courtines, en 1996, dans lequel nous ne pouvons jouer qu’en été. C’était une maison rachetée par la ville, proche d’un terrain de gitans, avec lesquels nous avons copiné pendant un temps. Des chantiers ont ensuite été menés dans le quartier, et nous avons dû quitter cet espace.
Vous avez ensuite investi l’Entrepôt actuel. Comment s’est développé votre projet à partir de là ?
Michèle Addala : Je dois le dire, j’étais hésitante lorsque nous avons emménagé. L’espace était prometteur bien sûr - un appartement pour accueillir les résidences d’artiste, une salle de 88 places, des bureaux, des espaces pour la pratique, une belle cour - mais j’avais peur qu’il nous isole. Nous l’avons abordé comme une fabrique de proximité qui resterait ouverte vers l’extérieur.
L’activité de l’Entrepôt repose surtout sur une action d’accompagnement à l’année.
En 2013, nous avons collaboré avec le « In » en coproduction, il s’agissait de La Parabole des Papillons, un travail autour de la parole des femmes, réunissant une vingtaine d’habitantes et une dizaine de comédiennes professionnelles. Une telle collaboration n’a plus eu lieu avec le In depuis, bien que nous ayons participé à quelques projets, mais l’arrivée de la Fabrica dans notre quartier a changé les choses.
Antoine Raud : L’activité de l’Entrepôt repose surtout sur une action d’accompagnement à l’année. C’est un parcours de création sur deux ans, avec trois groupes d’enfants, une classe Ulis, un groupe de personnes âgées, un autre d’adultes, portant sur le dehors et le patrimonial. Nous accueillons dans ce cadre des artistes, et notre programmation annuelle consiste surtout en des sorties de résidence.
Quel est votre modèle économique et comment avez vous traversé la crise ?
Antoine Raud : La compagnie est conventionnée par la CAF et nous percevons des financements croisés du social et du culturel. Nous développons aussi un partenariat avec la Région Sud. Notre part de billetterie compte peu, nous n’en dépendons pas. Il nous importe surtout de créer un lien spécial avec les compagnies et de les investir dans le projet plus global du lieu et de notre compagnie. Elles viennent pour y trouver un lien particulier avec le spectateur.
Pendant la pandémie, nous avons continué d’imaginer du lien avec les habitants, notamment à travers un travail épistolaire ou avec la Fondation l’Abbé Pierre. Curieusement, toute la période n’a pas entamé notre fréquentation en salle. Notre taux de fréquentation en 2021 et 2022 a été le même qu’en 2019, même si nous ne sommes pas sur les mêmes logiques et enjeux que la majorité des lieux du Off à Avignon. Nous sommes identifiés dans le paysage du festival, mais n’y tenons peut-être pas le même rôle que d’autres théâtres plus engagés dans l’événement.