Avignon : la Compagnie du Double taquine sur scène les politiques de diversité
Par Thomas Corlin | Le | Rh, formation, intermittence
Idées reçues, assignation implicite, paternalisme : la discrimination positive dans le spectacle vivant aurait-elle des effets pervers ? Au 11 dans le Off à Avignon jusqu’au 29 juillet, la Compagnie du Double met en scène un concours de diversité dans une parodie des politiques culturelles intitulée « La diversité est-elle une variable d’ajustement d’un nouveau langage théâtral ? », inspirée de moments vécus d’après Amine Adjina, un des auteurs.
La pièce était une réponse à une invitation du festival Hauts Parleurs du collectif À Mots Découverts au Grand Parquet (Paris 18e). Quelle était-elle ?
Le collectif, que nous adorons par ailleurs, nous a réunis avec Métie Navajo et Gustave Akakpo, pour travailler une création autour de la notion de diversité. En un sens, nous leur avons répondu point par point : qu’est ce que cache le terme de diversité ? Nous avons poussé la critique assez loin, en imaginant une intervention interactive avec le public, qui se nourrissait de nos vécus et de nos réflexions sur la notion. Nous y interrogeons directement le public sur ses représentations de la diversité, et finissons par une élection ironique du « meilleur représentant de la diversité » parmi nous. Nous nous autorisons ce malaise parce que nous le trouvons intéressant, mais nous avons aussi mis beaucoup d’éléments personnels dans la pièce, il était nécessaire de nous « mouiller » pour aborder le sujet - nous ne nous épargnons pas nous-mêmes. Le projet se devait d’être léger, et n’était pas destiné à avoir de suite, mais il est vite apparu que nous devions le développer avec la Compagnie du Double dont je fais partie, alors qu’elle produit normalement ses pièces ex nihilo.
En quoi les politiques en faveur à la diversité sur scène peuvent-elles avoir des effets secondaires indésirables ?
C’est entendu : nous sommes en faveur de ces politiques, l’inclusion est nécessaire, et ces questions doivent être traitées avec soin et respect, surtout à l’heure où le discours d’extrême droite gagne toujours du terrain. Pour autant, il faut être lucide sur la façon dont cette action est menée. La notion de diversité est émise depuis une norme - blanche, hétérosexuelle, etc - perçue comme neutre, alors qu’elle est souvent dominante. De la naissent plusieurs dérives : la plus courante est celle du paternalisme, qui consiste pour l’institution à s’attribuer un rôle de « sauveur », à se donner la responsabilité de « donner une place » à des minorités. Or, cette place existait déjà, il appartient juste aux personnes issues de la « diversité » de la prendre.
Les politiques d’inclusion peuvent nous desservir en nous assignant des rôles.
Ensuite vient la production d’un certain nombre de stéréotypes autour des profils de la « diversité ». Nous pointons dans la pièce qu’ils sont souvent vus ou fantasmés comme « sauvés » par la culture, le théâtre. Quand bien même cela est vrai pour certains, ce n’est pas du tout le cas de tous. Il en va de même pour les réfugiés ou les « jeunes des banlieues » : ces termes génériques recouvrent une immense variété de cas, de parcours, qui sont peu pris en compte. Les politiques d’inclusion peuvent donc hélas déboucher sur une autre forme d’assignation à une place, à un rôle, et elles peuvent à ce titre nous desservir.
La notion risque-t-elle aussi d’être édulcorée sur scène, voire de servir d’alibi ?
La diversité, l’identité, sont des thèmes parmi d’autres. Lorsqu’un artiste s’en empare, c’est que cela le travaille, au même titre que d’autres thèmes récurrents dans le théâtre, comme la mort, par exemple. Je ne veux pas croire que certains artistes fassent de l’identité un simple fonds de commerce. C’est peut-être déjà le cas aux États-Unis, mais en France, il n’est pas encore possible de « surfer » sur un tel thème.
La pièce a déjà un peu tourné, quelles sont les réactions du public, et surtout des professionnels, qui sont quelque peu mis en cause ?
Nous avons joué devant des publics divers : aux Plateaux Sauvages à Paris 20e, au Phénix dans le Nord, dans une salle des fêtes dans la Creuse, ou encore à Blois (Loir-et-Cher) dans une association de femmes africaines, avec laquelle le temps d’échange a été très riche.
Pour l’instant, seuls quelques programmateurs sont venus voir la pièce, et tous ont échangé avec nous indépendamment de leur rôle de programmateur. Les questions de politique culturelle n’ont pas refait surface - ou peut-être les ont-ils évité, mais cela ne nous dérange pas. C’est notamment pour rencontrer ce public là que nous sommes curieux de notre passage à Avignon.