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Le Festival des Tragos maintenu : « Trouver les moyens d’être détendus malgré tout » (E. Seignez)

Par Thomas Corlin | Le | Normes erp, réglementation sonore

Emmanuel Seignez, directeur du Festival des Tragos, festival « humour et émotions » en plein air qui dure du 4 juillet au 28 août à Cavalaire-sur-Mer (Var), explique comment s’organisent les spectacles, les relations avec les artistes et avec le public.

46 dates ont lieu tout au long de l’été à Cavalaire-sur-Mer, dans le respect des mesures sanitaires. - © D.R.
46 dates ont lieu tout au long de l’été à Cavalaire-sur-Mer, dans le respect des mesures sanitaires. - © D.R.

Le Festival des Tragos fait partie des quelques manifestations culturelles qui sont parvenues à se maintenir cet été. Comment cela a-t-il été possible ?

L’idée de l’annulation nous a effleuré bien sûr, mais on a tout de suite senti qu’on pourrait se maintenir. Dans la situation actuelle, les Tragos ont l’avantage de ne pas être une manifestation de plus de 5 000 personnes, de ne pas se tenir en lieu fermé, de ne pas être un festival de rue avec déambulation et d’avoir une jauge modeste et assise en gradin - selon les règles instaurées pour la crise sanitaire, le festival pouvait donc se tenir. 

Nous avons la particularité de faire notre programmation de façon très tardive.

Par ailleurs, nous avons la particularité de faire notre programmation de façon très tardive, parce que l’on attend chaque année que les compagnies calent leurs dates au Off d’Avignon, pour ensuite les faire passer chez nous. Au moment du confinement, on avait notre pré-sélection de compagnies, mais on n’avait encore contacté personne. Vu la situation, on a attendu le dernier moment pour le faire. Il s’agissait aussi de savoir si les compagnies accepteraient de jouer dans ces conditions. 

On a eu un soutien indéfectible des autorités locales, notamment de la mairie, qui a tout fait pour qu’on maintienne. Clairement, ils ne pouvaient pas nous donner notre subvention (environ 64 000 €) si on ne faisait rien, donc on a rapidement travaillé sur un protocole pour être en règle. La mairie a pris le risque de s’engager alors que la situation peut basculer à tout instant. 

Nous avons également 15 000 euros provenant de sponsors, principalement des commerces locaux. On s’attendait à ce qu’ils doivent abandonner leur contribution annuelle après des mois d’inactivité, et contre toute attente ils ont pratiquement tous donné ce qui était prévu. 

Affiche du Festival des Tragos 2020 - © D.R.
Affiche du Festival des Tragos 2020 - © D.R.

Côté programmation, on a choisi de prendre moins de compagnies, plus de locaux (notamment la compagnie amateur qui est à l’origine du festival), et de multiplier les dates pour satisfaire le plus de monde possible. C’était la seule façon d’atteindre un équilibre économique en respectant les conditions sanitaires, et nous en avons besoin car nos recettes de billetterie sont proportionnellement importantes. Les compagnies ont également adapté leurs cachets pour l’occasion. S’il y a des annulations, ça serait catastrophique, mais c’est le risque. 

Avez-vous pu déployer tout le festival tel que vous l’avez fait les années précédentes ?

Côté billetterie, c’était aussi complexe à cause de l’organisation des « groupes sociaux ». Seule une partie du gradin est vendu en ligne, avec 2 places, 1 siège vide, 3 places, 1 siège vide, etc.

Nous avons dû sacrifier quelques éléments. Il n’y a pas de jardin d’accueil, pas de buvette, et pas de kiosque non plus, cette petite scène qu’on utilisait pour les premières parties. Logistiquement aussi c’est acrobatique : il faut constamment se réorganiser, de la régie aux loges, de la cuisine au local décor. Même pour les repas, il a fallu mettre l’équipe en quinconce. C’est usant, mais on sait pourquoi on le fait. 

Côté billetterie, c’était aussi complexe à cause de l’organisation des « groupes sociaux ». Seule une partie du gradin est vendu en ligne, avec 2 places, 1 siège vide, 3 places, 1 siège vide, etc. On ne pouvait pas donner la responsabilité aux gens de prendre leurs distances les uns des autres, on a donc disposé l’espace nous-mêmes. 

Des contrôles sanitaires ?

« Tout repose sur la confiance que nous font les pouvoirs locaux. Nous avons rédigé un protocole vraiment précis, que l’on a envoyé à la Préfecture, qui nous demande ensuite de le respecter à la lettre pour que les spectacles aient lieu. À partir de là, il n’y a pas eu de contrôle. De toute façon, on est plutôt tranquilles : on est même encore plus zélés que ce qui figure sur le protocole. Cela repose sur des principes simples en fin de compte : distance, nettoyage et désinfection. »

Au final, on a programmé 46 dates, plus de solos que d’habitude, pas de grosses productions. Et tout demeure très fragile : dès le premier soir, on a dû remplacer au pied levé une comédienne amateur qui a dû rester en quarantaine après que des cas avaient été détectés dans la crèche dans laquelle elle travaille. 

Comment le public et les artistes s’adaptent-ils à ces conditions ?

On ne va pas se mentir : c’est très particulier. On essaye de rendre ça aussi peu contraignant que possible, mais on a moins de liberté qu’avant, quoiqu’il en soit. Il faut être pédagogue, je prends parfois la parole avant les spectacles pour remercier le public, leur expliquer l’effort que nous faisons tous pour que ça ait lieu malgré tout. On trouve le moyen d’être détendus et rigolards avec ça.

Emmaneul Seignez - © D.R.
Emmaneul Seignez - © D.R.

Les gens jouent le jeu, d’ailleurs même avant que le masque ne devienne totalement obligatoire le 20 juillet, beaucoup d’entre eux le portaient déjà tout le long du spectacle. Les touristes ne sont pas encore arrivés en masse à Cavalaire, d’autant que la côte est une région à risque puisque plein de gens viennent de partout, mais notre public est au rendez-vous. On est à 115 personnes par soirée en moyenne, et on ne peut pas dépasser les 200 (on pouvait en accueillir 300 normalement).  

Les artistes, quant à eux, sont juste très heureux de pouvoir jouer. La production d’une des compagnies invitées nous a dit que nous étions les seuls à les programmer cet été, c’est assez effrayant.