Émergence : 5 propositions des « Pirates du Spectacle Vivant » pour soutenir la jeune création
Par Thomas Corlin | Le | Organisations et réseaux professionnels
Mise à disposition de lieux sous-exploités, refléchage de subventions excédentaires, collectif de programmation… Plusieurs jeunes forces du spectacle vivant, établies depuis 2019 en une Fédération des Pirates du Spectacle Vivant, ont rassemblé dans un « Manifeste des Immergé.e.s » (Éditions Komos, Gironde) plusieurs propositions. Certaines font déjà écho dans certains réseaux et institutions, d’après les artistes Elsa Cecchini et Matthieu Tricaud (qui ont participé à sa rédaction), et les éditrices Emma Guizerix et Elodie Vazeix.
- Recenser et mettre à disposition des équipements culturels sous-exploités
De nombreux théâtres municipaux ou autres locaux appartenant à des communes ne proposent qu’une programmation artistique ponctuelle, et demeurent déserts le reste de la saison. Leur accès est rare, mais pourrait l’être moins. Un questionnaire a été établi par la Fédération pour connaître les conditions techniques et les moyens dont disposent ces équipements guère optimisés, et définir dans quelle mesure leurs gérants pourraient y inviter en résidence (et diffuser) des artistes émergents qui produisent généralement avec leurs propres moyens, à perte.
Les Immergés ont donc imaginé un label « Pavillon Noir » qui stimulerait des réseaux de création régionale, dans le sillon de la décentralisation déjà engagée, et explorerait de nouveaux espaces pour le renouveau artistique. La Ville de Bordeaux, actuellement en plein inventaire de ses équipements depuis son changement de mairie, est sensible à la proposition.
- Des collectifs en charge de la programmation
Quelle alternative à la direction autocratique des lieux d’arts vivants ? Les Immergés proposent un comité tripartite composé de membres de l’équipe administrative et technique du lieu, d’artistes programmés et de spectateurs ayant vu au moins cinq spectacles dans l’année dans le lieu en question. La fourchette d’âge des spectateurs pourrait également varier en fonction du segment de la programmation : l’émergence pourrait par exemple être votée par des spectateurs plus jeunes. Des initiatives similaires ont vu le jour à Lille, ou à Zurich pour l’étranger.
De façon plus ambitieuse, la Manifeste propose aussi d’inscrire des quotas de jeunes compagnies dans l’attribution des subventions des DRAC et des lieux conventionnés : un CDN pourrait être tenu de programmer chaque année 20 % d’artistes qui n’ont jamais eu accès à sa scène.
- De courts spectacles en première partie ?
La pratique est courante, voire systématique, en musique, pourquoi pas dans les arts vivants ? Il s’agirait donc d’une courte représentation, techniquement légère, programmée avant un spectacle avec lequel existerait une cohérence esthétique. Il pourrait être choisi par l’artiste programmé parmi plusieurs compagnies locales, dans chaque lieu dans lequel il joue. Ces premières parties pourraient avoir lieu dans le foyer du théâtre, devant le rideau ou sur la scène si cela est techniquement possible. Si certaines compagnies se sont montrées enthousiastes, d’autres restent attachées à la dramaturgie complète d’une proposition scénique présentée du début à la fin.
- Redistribuer le reliquat de subventions débloqué en fin d’année
En raison d’un mécanisme à retardement du dégel des subventions votées, les DRAC perçoivent un supplément en fin d’année, après répartition des crédits aux compagnies. Ce supplément est normalement reversé à des équipes conventionnées qui ont déjà été amplement soutenues. Il pourrait être réorienté pour alimenter une caisse dédiées aux compagnies « immergées ».
- Un poste dédié à l’orientation dans les DRAC et institutions délivrant des subventions
Affectueusement dénommé « Bobby », il s’agirait d’un fonctionnaire au service des jeunes artistes, pour les guider dans la complexité administrative de la structure publique. Avec la disparition d’organismes comme Arcadi et les diverses coupes budgétaires, les institutions type DRAC sont débordées et n’ont pas de disponibilité pour les jeunes artistes, en particulier ceux qui ne sont pas identifiés ou ne sortent pas d’écoles publiques. « Bobby » serait donc cet agent qui donnerait une porte d’entrée à de jeunes compagnies rarement entendues et les orienterait en fonction des besoins de leur projet artistique.
La Fédération des Pirates du Spectacle Vivant, en bref
• Une cinquantaine d’artistes « immergés », jeunes mais pas que, de formations diverses (ou parfois sans), hors du circuit des aides à la création.
• Un manifeste écrit par une vingtaine d’auteurs et autrices.
• Un projet parti d’un « simple google drive en 2019 », qui fait aujourd’hui l’objet de plusieurs assemblées générales.
• Un réseau de lieux ou organisations sensibles à leurs revendications, tels que le TU-Nantes, l’Échangeur (Seine-Saint-Denis), La Commune (Seine-Saint-Denis), l’agence OARA (Région Aquitaine), le collectif breton Deter, l’association Urgence Émergence, et les Éditions Komos, spécialisées dans le théâtre.
• Un groupe de travail avec la DGCA sur une réforme des aides pour mieux accompagner les jeunes équipes et compléter le « plan d’insertion Jeunes » déjà en place.