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Labels : les indés, toujours résistants après la crise, se fêtent pendant Indies First

Par Thomas Corlin | Le | Organisations et réseaux professionnels

Tout le long du mois d’octobre, la Fédération des Labels Indépendants (Félin) lance l’opération Indies First sur tout le territoire. Showcases, albums stickés, conférence au MaMA (Paris 18e) le 12 octobre 2022 : l’association entend attirer l’attention du public sur la précarité de ses structures après la pandémie, d’après Mathieu Dassieu, son président.

La table ronde de la Félin en 2021 au MaMA. - © D.R.
La table ronde de la Félin en 2021 au MaMA. - © D.R.

Quel a été l’impact de la pandémie sur l’activité des labels indépendants ? 

Les magasins ont connu plusieurs phases de fermeture, et cela a sensiblement impacté leurs ventes, dans des proportions bien plus grandes que les majors. 80 % des revenus des majors proviennent aujourd’hui du digital, alors que les indépendants font encore la moitié de leurs ventes en physique. Il existe donc une inégalité en termes de résistance face à la crise.  

Ensuite, l’arrêt des concerts nous affecte différemment : nos artistes n’existent presque que sur la route, en tissant un lien avec leur public, puisqu’ils n’ont presque pas accès aux médias nationaux, et ne disposent pas d’un community management. Il est presque impossible pour eux d’atteindre les publics qui n’ont pas l’habitude de se rendre à des concerts. 

Enfin, la baisse des aides à la production (suite à la décision de la cour européenne de justice de septembre 2020) nous concerne aussi, d’autant qu’elle est arrivée lorsque les organismes de gestion collective revoyaient leur système de soutien. L’Adami et la Spedidam ont par exemple dû reprototyper leurs aides en direction de l’auto-production, au détriment des productions encadrées par un label. Nous sommes très inquiets quant à de possibles nouvelles baisses en janvier prochain qui mettraient en péril tout notre secteur et précariseraient la production phonographique - les artistes devraient alors se produire eux-mêmes, sans le soutien de leurs labels. 

Vous pointez un problème de définition de l’indépendance, où se situe-t-il ? 

De grosses PME avec un back catalogue important, qui a pu abondamment tourner pendant la crise, sont mis à la même enseigne que des centaines de petits labels que nous représentons. Parmi nos 400 structures adhérentes, certaines sont gérées par une seule personne, d’autres par des équipes de deux à dix personnes. Ce ne sont pas les mêmes réalités que des entreprises dont les sièges sociaux sont à Paris et fonctionnent sur des économies bien plus confortables. Nos labels marchent sur la passion avec des personnels souvent moins bien lotis que les artistes qu’ils accompagnent, et même intermittents pour certains. 

Indies First met l’accent sur la visibilité médiatique de vos artistes. La situation s’assombrit-elle toujours ? 

Hélas oui. Les médias nationaux ne traitent presque jamais des sorties indépendantes et l’accès aux playlists est parfois impossible, même sur Radio France - à l’exception de FIP. Le Centre National de la Musique explique souvent que la diversité est en augmentation, mais là encore, il met côte à côté quelques grosses PME avec un océan de petits labels qui ne jouissent pas des mêmes moyens et n’ont pas la même visibilité. Il a été étudié que 98 % de la part de marché allait vers les 25 mêmes labels - nos labels se partagent donc 2 %. Radio France est sensibilisé à cette question et cherche des solutions pour véritablement représenter la diversité de l’offre musicale française. 

Les labels indépendants effectuent un travail de défrichage en régions que les majors ne font plus.

Il en va de notre accès à toute forme de succès commercial. Une visibilité médiatique à grande échelle nous permettrait, dans certains cas, de vendre peut-être 20 000 albums au lieu de 5 ou 6 000. 

Une taxe sur le streaming est à l’étude, est-ce une avancée significative pour vos labels ? 

Potentiellement. La répartition n’est pas encore tout à fait équitable, les écarts se creusent, et nous revendiquons un paiement au stream « réel », plus « user-centric » que « market-centric ». Selon les calculs actuels, une étude allemande a révélé que 170 M€ n’iraient pas dans les caisses des indépendants (en Allemagne, donc), alors qu’ils leur reviennent. Une régulation est à établir, pour que les plus gros ne raflent pas toujours les plus grosses parts. Et je ne mentionne même pas les fameux « faux streams » que certains se payent pour capter davantage de revenus - les petits labels n’ont pas les moyens de s’en payer !

La taxe sur le streaming est un projet qui va dans le bon sens, mais le Syndicat National de l’Édition Phonographique (SNEP) s’y oppose, au titre que cela affecterait trop les revenus des trois catalogues de majors. Il serait pourtant équitable qu’une taxe sur ces gros revenus, perçus sur l’exploitation digitale, contribue à la production musicale française.

Quelle forme prendra Indies First, et quel est son enjeu majeur ? 

Une dizaine de showcases se tiendront chez les disquaires et une trentaine d’albums porteront des stickers Indies First. Nous tiendrons une table ronde au MaMA 2022, et des playlists ont été curatées sur Deezer et Qobuz. Il s’agit pour nous de rappeler la vitalité de nos labels, qui effectuent un travail de défrichage en région, que les plus grosses structures n’effectuent plus forcément, étant basées à Paris.